Une géographie complexe et des micro-terroirs difficiles à définir

Le Roussillon est un territoire pluriel. Avec une mosaïque de terroirs - des sols schisteux des Aspres aux granits du massif du Canigou, en passant par les galets roulés de la vallée de l’Agly - il est à la fois sa richesse et sa contrainte. La variété des sols, des expositions et des influences climatiques (méditerranéennes, mais aussi montagnardes) rend l’identification précise des terroirs complexe.

Historiquement, cette diversité a compliqué la tâche des experts et des institutions chargés de délimiter les zones pouvant prétendre au label AOP. Dans les premiers cahiers des charges, il fallait certifier un lien clair entre un vin et son terroir. Dans un espace aussi fragmenté que le Roussillon, cette phase de délimitation a pris bien plus de temps que pour des régions comme la Bourgogne, où la précision des terroirs est historiquement ancrée.

L’ombre du vin doux naturel : un rayonnement qui a retardé l’élan des vins secs

Si le Roussillon est aujourd’hui un grand pays de vins secs, notamment rouges et blancs, son identité viticole a longtemps été dominée par les vins doux naturels. Le muscat de Rivesaltes, le banyuls ou encore le maury ont porté haut les couleurs de la région pendant des siècles, faisant du Roussillon l’un des principaux producteurs mondiaux de vins fortifiés. En 1914, près de 90% des exploitations viticoles du Roussillon se consacraient à ces doux nectars.

Mais ce rayonnement a eu son revers. L’effort collectif des vignerons s’est concentré majoritairement sur ces vins particuliers, délaissant la reconnaissance institutionnelle des vins secs alors en pleine expansion dans d'autres régions françaises. Ce n’est que dans les années 1970 qu’on commence à se pencher sérieusement sur leurs qualités et potentialités, avec comme première étape la création de l’AOVDQS (Appellation d’Origine Vin Délimité de Qualité Supérieure), une sorte d’antichambre avant l’AOC (aujourd’hui AOP).

Événement notable : la reconnaissance tardive des Côtes du Roussillon

C’est en 1977 que l’appellation Côtes du Roussillon voit le jour, suivie de près par les Côtes du Roussillon Villages en 1979. À titre de comparaison, l’AOC Châteauneuf-du-Pape avait déjà été établie dès 1936 ! Une différence de plus de 40 ans qui témoigne à elle seule du retard accumulé.

Un passé marqué par les crises économiques et sociales

Le XXe siècle a été particulièrement tumultueux pour les vignerons roussillonnais. Après la crise du phylloxéra à la fin du XIXe siècle, qui avait déjà forcé une restructuration massive, le vignoble a subi des crises économiques majeures. La surproduction de vin de masse dans les années 1950, accentuée par les pratiques de chaptalisation, a nui à l’image des vins du Roussillon.

Par ailleurs, l’histoire sociale du vignoble a été marquée par une succession de révoltes et de revendications. Les mutineries viticoles de 1907, emblématiques de la révolte des vignerons du sud, ont mis en lumière le besoin de réglementations plus strictes. Cependant, ces luttes ont aussi semé une certaine méfiance envers les institutions, ce qui a parfois ralenti les démarches collectives pour la classification en AOP.

Le poids des coopératives : entre solidarité et standards uniformisés

L’autre spécificité du Roussillon réside dans sa tradition coopérative. Dès le début du XXe siècle, les vignerons de la région se sont regroupés pour mutualiser les moyens de production et de commercialisation. Ces coopératives, sources de solidarité et de prospérité pour de nombreuses familles, favorisaient parfois une production de volume au détriment de la qualité.

La mise en avant des appellations nécessite souvent un virage vers des productions plus identitaires, avec des cahiers des charges exigeants : rendements plus faibles, vinifications précises, élevages soignés. Ce passage d’une production majoritairement “en vrac” à une mise en bouteille soignée a demandé du temps.

Vers une montée en puissance qualitative

Ce n’est qu’à partir des années 1980 que la dynamique a véritablement changé. Des vignerons pionniers, inspirés des mouvements qualitatifs en Languedoc ou du renouveau des Côtes du Rhône, ont commencé à bouleverser les habitudes locales. On peut citer Gérard Gauby, figure emblématique, qui a su prouver que le Roussillon pouvait produire des vins secs d’exception en symbiose avec leurs terroirs.

Une prise de conscience écologique et patrimoniale

Enfin, le contexte contemporain de réchauffement climatique et de retour aux valeurs patrimoniales a renforcé la reconnaissance du Roussillon. Aujourd’hui, cette région est saluée pour son engagement dans les pratiques agroécologiques : viticulture biodynamique, cépages résistants à la sécheresse, et préservation des paysages viticoles.

La demande mondiale en vins authentiques et singuliers a également joué un rôle crucial. À contre-courant des vins "technologiques", les côtes du Roussillon, avec leurs tanins racés et leurs arômes de fruits secs, sont désormais des choix recherchés par les amateurs éclairés.

Et maintenant ? Une trajectoire à surveiller

Si le Roussillon a mis du temps à obtenir ses premières AOP, il est aujourd’hui à l’avant-garde des innovations viticoles. La région continue d’affirmer son identité tout en trouvant sa place parmi les grands territoires viticoles mondiaux. Dans un monde du vin en constante évolution, cette reconnaissance tardive pourrait bien être un atout. Elle a permis aux vignerons du Roussillon de se réinventer et de proposer des vins singuliers, empreints d'une authenticité rare.

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