Pourquoi le Roussillon a-t-il tardé à obtenir une reconnaissance en AOP ?

Alors que d’autres régions françaises bénéficiaient dès le début du XXe siècle d’une protection réglementaire via les premières appellations, le Roussillon a dû batailler bien plus longtemps pour voir son patrimoine viticole reconnu. La reconnaissance officielle des vins de la région sous l’appellation Côtes du Roussillon est relativement récente : ce n’est qu’en 1977 que l’appellation d’origine contrôlée (AOC) est enfin attribuée.

Plusieurs raisons expliquent ce retard. D’abord, le Roussillon a longtemps été perçu comme un territoire périphérique, aussi bien géographiquement qu’économiquement. Son isolement relatif, lié à son enclavement entre Pyrénées, Méditerranée et Corbières, a ralenti son intégration dans les grands circuits commerciaux français.

Ensuite, l’histoire du Roussillon est profondément marquée par celle du vin dans le sud-ouest européen. Pendant des siècles, les vins doux naturels comme le Rivesaltes ou le Banyuls sont restés le fer de lance de la région. Ces vins, appréciés depuis le XVIIe siècle, ont éclipsé les vins secs du territoire, qui peinaient à s’imposer face à des régions plus organisées comme le Bordelais ou la Bourgogne.

Un vignoble façonné par les remous de l’histoire

Le vignoble roussillonnais n’est jamais resté à l’écart des grands bouleversements historiques. Dès l’époque romaine, la culture de la vigne prend racine ici, profitant du climat méditerranéen et des sols variés riches en schistes, marnes et galets roulés. Plusieurs siècles plus tard, au Moyen Âge, Perpignan et toute la plaine roussillonnaise deviennent des carrefours de commerce. Les vins du Roussillon sont exportés vers l’Espagne, l’Italie et même plus loin, notamment à travers les ports de Collioure ou de Port-Vendres.

Mais c’est surtout la période moderne, et particulièrement les XVIIe et XVIIIe siècles, qui structure le vignoble actuel. Après le rattachement du territoire à la France en 1659 par le Traité des Pyrénées, le Roussillon conserve sa forte identité catalane tout en devenant un vivier de production vinicole pour alimenter les grandes villes françaises.

Cette histoire chargée est traversée par des instabilités. Le phylloxéra, comme ailleurs, frappe durement les vignes au XIXe siècle. Si la reconstitution du vignoble est rapide grâce au greffage sur des plants américains (Vitis labrusca), le Roussillon n’échappe pas aux crises de surproduction de la fin du XIXe et du début du XXe siècle qui marquent tout le Midi viticole.

Quand la géopolitique façonne le vin

L’histoire géopolitique unique du Roussillon, à la croisée du monde français et espagnol, a profondément marqué son développement viticole. Son rattachement tardif à la France en 1659 a permis de préserver un patrimoine culturel catalan, où la vigne joue un rôle central.

Ce double héritage, espagnol et français, a nourri une pratique viticole variant avec les époques et les influences. Économiquement, le Roussillon se situe à l’arrière-garde des grandes voies commerciales, mais certains événements, comme le développement du chemin de fer au XIXe siècle, modifient la donne en rendant les exportations plus fluides vers le reste de l’Europe.

Enfin, l’histoire difficile entre la France et l'Espagne a parfois favorisé la viticulture. Les périodes de conflit renforcent l’autosuffisance de la région en matière agricole, la viticulture devenant une ressource économique essentielle.

Les grandes étapes de la réglementation des vins du Roussillon

L’histoire de la réglementation des vins roussillonnais est celle d’un combat pour protéger l’identité des productions locales. Les premières étapes sont franchies dans les années 1930. À cette époque, la région obtient la reconnaissance officielle de plusieurs appellations pour ses vins doux naturels (notamment Rivesaltes et Banyuls). Les vins secs doivent quant à eux attendre plusieurs décennies avant que la notion même de "Côtes du Roussillon" ne voie le jour.

  • 1936 : création des premières AOC françaises, parmi lesquelles ne figurent pas encore les vins secs du Roussillon.
  • 1977 : naissance de l’AOC Côtes du Roussillon, qui marque une étape importante dans la reconnaissance des vins rouges, blancs et rosés de la région.
  • 2011 : transition officielle vers l’AOP (appellation d’origine protégée) dans le cadre de la réglementation européenne, affirmant une continuité mais aussi une modernisation des pratiques.

Coopératives et tradition : les piliers de l’AOP

Les coopératives jouent un rôle essentiel dans l’histoire viticole roussillonnaise, notamment dans la structuration de l’appellation Côtes du Roussillon. Dès les années 1930, ces regroupements de vignerons permettent de fédérer des efforts individuels face aux aléas économiques et agricoles. Dans une région parfois marquée par des exploitations familiales de petite taille, cette mutualisation est salutaire.

Les grandes coopératives ont également joué un rôle moteur dans la reconnaissance de l’AOC, en mettant en avant la diversité des terroirs et en investissant dans la qualité des productions.

Une identité catalane intacte, au cœur de l’AOP

Certaines traditions catalanes continuent de marquer les pratiques viticoles locales. Le respect de la "fita", cette notion non officielle qui délimite les parcelles de manière ancestrale, ou encore la transmission orale autour des pratiques culturales, forgent une vraie particularité dans cette région viticole.

Les cépages eux-mêmes sont un marqueur identitaire : grenache noir, blanc et gris, carignan ou encore macabeu sont autant de témoins d’une histoire enracinée dans le bassin méditerranéen.

De l’AOC des origines à l’AOP d’aujourd’hui

Si l’AOC définissait la reconnaissance d’un savoir-faire, le passage à l’AOP marque une ambition nouvelle : celle d’intégrer l’union européenne dans une démarche de valorisation des terroirs. Cette transition, opérée depuis 2011, ne change pas fondamentalement les pratiques, mais elle implique de nouvelles exigences, notamment en termes de traçabilité et de préservation de la biodiversité. Les producteurs réfléchissent aussi de plus en plus à des approches durables, comme l’agriculture biologique ou la biodynamie, pour répondre à la demande croissante tout en respectant le patrimoine local.

La diversité des terroirs, miroir de l’histoire locale

Enfin, il est impossible de parler de l’AOP Côtes du Roussillon sans évoquer la mosaïque époustouflante de terroirs qu’elle englobe. Schistes, granits, calcaires, argilo-calcaires… Cette diversité géologique, complétée par des microclimats contrastés, est le fruit d’une histoire géologique complexe autant que des choix artistiques et pragmatiques des générations de vignerons. Elle donne naissance à des vins d’une remarquable complexité, tantôt épicés et puissants, tantôt frais et minéraux.

L’histoire des Côtes du Roussillon est donc une histoire de patience, d’ambition et d’intelligence humaine. Elle montre comment, en dépit des aléas du passé, un territoire peut conquérir sa place et rendre hommage à ses terres.

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