Un peu d’histoire : pourquoi zoner ?

La notion de zonage ne relève pas d’un caprice administratif. Elle s’inscrit dans la longue évolution des systèmes de protection du vin français, depuis les premières mentions d’appellations dans les années 1930 jusqu’aux AOC/AOP contemporaines. Dès l’origine, il s’agit de protéger l’authenticité d’un produit, d’en circonscrire le territoire, et d’y lier des pratiques culturales et œnologiques.

  • Pour les Côtes du Roussillon, la première délimitation date du décret du 23 août 1977, affiné plusieurs fois, le dernier texte étant celui du décret du 28 mai 2001 (source : Légifrance).
  • L’enjeu : garantir aux consommateurs la provenance réelle, tout en consolidant une identité de vin “de lieu”.

Le zonage, ce n’est donc pas “couper la carte à la serpe” : c’est le fruit d’équilibres, de revendications locales et d’analyses techniques (sols, microclimats, traditions viticoles).

Le territoire de l’AOP Côtes du Roussillon : une mosaïque de secteurs

Le périmètre de l’AOP Côtes du Roussillon est à la fois vaste et précis. Elle couvre aujourd’hui environ 5 500 hectares (source : CIVR 2022), soit moins de la moitié du vignoble total du Roussillon. Sa délimitation n’épouse donc pas mécaniquement les contours du département des Pyrénées-Orientales.

Les communes concernées

La liste des communes incluses est stricte. L’appellation regroupe 118 communes, toutes situées au sud du département, entre mer et contreforts pyrénéens. Ces communes couvrent quatre grands secteurs viticoles :

  • La vallée de l’Agly (nord) : sols de schistes, argiles rouges, arènes granitiques.
  • La plaine du Roussillon (centre)
  • Les Aspres (sud-ouest) : piémont sec, terroirs caillouteux.
  • Les secteurs littoraux : la “ceinture salée” de la Méditerranée.

Toutefois, chaque commune n’est pas totalement zonée : la délimitation s’arrête parfois aux limites cadastrales de certains terroirs et exclut ainsi des parties non conformes aux critères naturels historiques.

Comment se définit la zone exacte ?

La “zone AOP” se détermine selon un double filtre :

  1. Base communale : la liste officielle des 118 communes.
  2. Délimitation parcellaire fine : chaque parcelle cadastrale concernée fait l’objet d’une expertise terrain, conduite par l’INAO (Institut National de l’Origine et de la Qualité) ou l’organisme local, pour vérifier la cohérence des sols. Les parcelles d’alluvions trop riches, de zones humides ou de terrains trop fertiles sont exclues.

L’intégralité de ces délimitations est consultable via les plans cadastraux à la mairie ou sur demande auprès des services de l’INAO. Ce système de double niveau permet d’éviter des abus et de garantir l’homogénéité qualitative du vignoble.

Critères naturels incontournables

Pouvoir revendiquer l’AOP, c’est d’abord répondre à des impératifs naturels précis :

  • Situation géographique : la vigne doit être plantée dans la zone autorisée ; même un mètre hors zonage et la revendication tombe.
  • Altitude : les limites d’altitude sont imposées : typiquement inférieures à 400m pour les zones principales, avec des exceptions dans les massifs les plus favorables.
  • Sols : sont exclus les sols marécageux, trop argileux ou alluviaux non “traditionnels”. Des analyses de sol sont exigées lors des demandes d’extension de l’aire.

Un chiffre marque l’exigence du zonage : selon les données CIVR, seuls 45% de la surface viticole des Pyrénées-Orientales peuvent prétendre à l’AOP Côtes du Roussillon (source : CIVR, “Le livre blanc du Roussillon”).

La procédure de revendication : vigilance et régularité

Le vigneron doit enregistrer chaque année ses parcelles en AOP. Il existe un calendrier règlementaire appelé “déclaration d’intention de revendication”, à remplir auprès de l’organisme de défense et de gestion (CIVR), souvent avant la véraison.

  • Chaque cépage et chaque vin doit être associé à une ou plusieurs parcelles bien zonées.
  • En cas de doute (limite parcellaire, modification de cadastre, ou remembrement), la réactualisation doit être faite avant les vendanges.
  • Le contrôle se fait sur plan cadastral et sur le terrain.

Des contrôles administratifs et sur le terrain (en 2022, près de 13% des domaines ont reçu une visite annuelle, source : ONIVINS-Roussillon) permettent de vérifier l’exact respect du zonage.

Différences avec les autres AOP voisines

Attention aux confusions : l’aire de l’AOP Côtes du Roussillon n’est pas identique à celle d’autres appellations du département :

  • Côtes du Roussillon Villages (et ses quatre villages satellites) : plus restreinte, uniquement nord Roussillon, centrée sur l’Agly.
  • Collioure, Banyuls : uniquement sur le littoral sud et les coteaux abrupts.
  • Muscat de Rivesaltes, Maury… : définies par des secteurs micro-zonés.

En comparaison, l’aire des Côtes du Roussillon est la plus vaste mais aussi la plus éclectique, acceptant plus de types de sols et de topographies, à condition de respecter les points cités plus haut.

Pourquoi le zonage est-il un enjeu vivant ?

Le zonage n’est pas figé. Il évolue selon :

  • Des études géologiques récentes (le passage de certains terroirs de limon à cailloutis a été constaté suite à la grande crue de 1999, remaniant les candidatures de certaines zones).
  • L’impact du changement climatique : avec l’augmentation des températures et la raréfaction de l’eau, certaines zones autrefois marginales (plus fraîches ou haut perchées) ont fait l’objet de revendications d’inclusion… souvent soumises à plusieurs années d’étude avant acceptation.
  • L’évolution des pratiques culturales : l’essor des cépages autochtones oubliés ou la replantation de hautes densités en terrasses amènent de nouveaux dossiers.

Quelques chiffres donnent la mesure de la vigilance : entre 2010 et 2021, moins de 6% des demandes d’extension de zonage ont abouti, témoignant de la sélectivité des critères (source : INAO, rapport annuel 2021).

Dessiner la carte, dessiner la qualité

Le zonage, loin d’être un simple découpage administratif, incarne la volonté collective de préserver la richesse du Roussillon, de valoriser ses paysages et son histoire au travers du vin. Ce fil invisible, qui relie le granit des Fenouillèdes aux galets du Tech, forge l’identité des Côtes du Roussillon. Comprendre (et respecter) ses contours, c’est se donner les moyens de produire un vin juste, fidèle à une terre et à une tradition, mais aussi ouvert à l’avenir de l’appellation dans toute sa diversité.

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