Des origines antiques à l’organisation médiévale

La viticulture du Roussillon s’enracine dans l’Antiquité, dès l'époque romaine. Les premières lois encadrant la production de vin ont cependant vu le jour bien plus tard, notamment durant le Moyen Âge, une période où les abbayes jouèrent un rôle central.

Au XIIe siècle, l'abbaye Saint-Michel de Cuxa et celle de Saint-Martin du Canigou, entre autres, possédaient des vignobles et impulsaient des pratiques visant à améliorer la qualité des vins. Une charte de l’époque concernant des droits de propriété sur les terres agricoles et les vignes montre la première ébauche d’une structuration légale.

Sous la couronne catalane (jusqu’en 1659), des textes établis par les Consell de Vila (assemblées locales) régissaient les récoltes et fixaient les dates pour les vendanges. Ces premières réglementations avaient pour but d’éviter les abus et d'assurer aux communautés une production collectivement contrôlée.

Le Roussillon et le tournant des vins doux naturels

La grande révolution viticole du Roussillon, avant même les AOP modernes, fut la naissance et l’encadrement des vins doux naturels (VDN). Ces vins emblématiques, comme le banyuls ou le rivesaltes, sont directement liés à une découverte technique : la mutage à l'alcool.

Etabli au XIIIe siècle par Arnaud de Villeneuve, médecin et alchimiste célèbre de l’Université de Montpellier, le mutage permit de conserver le sucre naturel des raisins en stoppant la fermentation grâce à de l’alcool vinique. À partir du XVIIe siècle, ces vins devinrent une signature du territoire et leurs exportations s’intensifièrent, notamment via le port de Collioure.

En 1872, un premier texte législatif fit son apparition pour protéger les VDN, spécifiant leur méthode de production. Ce cadre législatif fut renforcé par la suite avec la loi de 1936 sur les AOC (appellations d'origine contrôlée), qui permit le classement de plusieurs territoires du Roussillon en AOC dédiées aux VDN. Le rivesaltes fut l’un des premiers à être reconnu officiellement, suivi de près par le banyuls.

Le passage à l’ère des AOC : un saut qualitatif majeur

Le XXe siècle marqua un tournant décisif : la juridiction viticole donna naissance aux AOC. Le Roussillon, riche d’une mosaïque de terroirs, fut directement concerné.

  • 1936 : création de la première AOC du Roussillon, le rivesaltes, pour encadrer la production de vins doux naturels.
  • 1936 également : les appellations banyuls et banyuls grand cru furent reconnues à leur tour, affirmant leur spécificité.
  • 1977 : le côtes du roussillon et le côtes du roussillon villages accèdent au statut d’AOC, offrant une reconnaissance méritée aux vins secs.

Ces étapes stratégiques eurent un double impact : elles permirent non seulement de valoriser la qualité intrinsèque des vins, mais aussi de limiter la production à des zones géographiques rigoureusement définies, souvent sur des terroirs d'exception.

L’INAO (Institut national de l'origine et de la qualité) joua un rôle de régulateur, définissant des cahiers des charges stricts, incluant les cépages autorisés, les rendements limites, les pratiques de vinification... Autant de règles qui, aujourd’hui encore, garantissent aux consommateurs l’authenticité et la typicité des vins du Roussillon.

Le Roussillon face aux crises du XXe siècle

Sur le plan économique, le vignoble du Roussillon connut plusieurs crises qui obligèrent l'État et les vignerons à adapter la réglementation.

Entre la crise du phylloxéra (fin du XIXe siècle) et les excès de la surproduction au début du XXe siècle, des réformes majeures furent nécessaires. En réponse à ces difficultés, deux événements marquants façonnèrent l’avenir :

  • 1907 : la grande révolte des vignerons du Languedoc-Roussillon, dénonçant les pratiques frauduleuses et la concurrence déloyale. Cette contestation aboutit à des lois sur la mise en marché des vins.
  • 1931 : création des vins de qualité supérieure (VSQ), un précurseur des AOC, pour mettre en avant les zones de production réputées.

Ces réglementations mirent fin à l’ambiguïté, en différenciant clairement les vins issus de terroirs qualitatifs des autres produits du marché, parfois trop industriels.

Une réglementation aujourd’hui tournée vers l’environnement

Le Roussillon, comme tout le vignoble français, doit aujourd’hui répondre à des défis climatiques et environnementaux. Cet impératif s’accompagne d’une évolution des réglementations.

Depuis les années 2010, les mentions comme “Agriculture Biologique” (AB) ou encore “Vin Biodynamique” prennent de l’ampleur parmi les producteurs. Le défi est double : respecter un cahier des charges exigeant tout en répondant à une demande croissante des consommateurs pour des vins plus verts.

En parallèle, le Roussillon a aussi vu naître des initiatives locales, comme l’exploitation de cépages résistants à la sécheresse ou l’utilisation d’énergies renouvelables dans les domaines. Des mesures incitatives, encouragées par des changements législatifs, témoignent d’une volonté de préparer le vignoble à l’avenir tout en préservant ses traditions.

Regard vers demain : entre tradition et innovation

La réglementation des vins du Roussillon, construite au fil des siècles, s’appuie désormais sur un socle solide : valorisation des terroirs, protection des appellations, et innovation face aux défis écologiques. Ce cheminement raconte une histoire plus vaste, celle d’un vignoble qui, malgré les crises ou les révolutions économiques, ne cesse de s’affirmer comme l’un des joyaux viticoles de la France.

En tendant l’oreille à ces vins profonds, nous écoutons aussi leur histoire : celle d’hommes et de femmes qui, génération après génération, ont façonné les lois pour protéger un patrimoine vivant. Et demain ? Il y a fort à parier que le cadre réglementaire évoluera encore, tout comme la créativité sans limites des vignerons du Roussillon.

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