Les origines antiques : l’arrivée des premières vignes

Il faut remonter au VIIe siècle avant notre ère pour trouver les premiers plants de vignes dans le Roussillon. Ce sont les Phéniciens, ces grands navigateurs de la Méditerranée, qui introduisent ici la culture de la vigne. Plus tard, cette pratique est étendue et perfectionnée sous l’impulsion des Grecs, notamment à partir de la création de la colonie de Massalia (Marseille).

Mais la véritable transformation du vignoble survient avec les Romains. Lorsqu’ils occupent la région à partir du IIe siècle avant notre ère, ils font de la viticulture une activité essentielle de la Province Narbonnaise. Le Roussillon, alors connu sous le nom de “Ruscino”, voit l’implantation de domaines viticoles organisés et la construction de routes pour faciliter le commerce des vins. À cette époque, les vins produits sont principalement expédiés vers Rome et les provinces voisines.

Le Moyen Âge : vignoble monastique et domination catalane

Après la chute de l’Empire romain, la viticulture connaît une période de déclin, avant de renaître sous l’égide des monastères au Moyen Âge. Les moines de l’abbaye Saint-Michel de Cuxa, du monastère de Serrabone ou encore ceux de Saint-Martin-du-Canigou jouent un rôle déterminant. Ils défrichent, cultivent et expérimentent les sols, préfigurant les bases de la viticulture moderne. C’est à eux que l’on doit l’organisation des premiers vignobles en terrasses, encore visibles dans des secteurs escarpés comme la vallée de l’Agly.

À partir du XIIe siècle, le Roussillon passe sous domination catalane. Ce rattachement à la Couronne d’Aragon dynamise les échanges commerciaux. Le port de Collioure devient une plaque tournante pour l’exportation de vins vers Barcelone et d’autres villes méditerranéennes. Les liens avec la Catalogne modèlent aussi les pratiques viticoles, avec une influence durable sur les cépages. Certains comme le grenache noir ou blanc, essentiels aujourd’hui, trouvent leurs origines dans cette période.

1659 : la frontière française et l’émergence d’un vignoble identitaire

Le traité des Pyrénées de 1659 marque une date clé pour le Roussillon : la région devient officiellement française, bien qu’elle conserve une identité catalane forte. Ce changement a des répercussions sur la viticulture. L’ouverture du marché intérieur français offre de nouvelles opportunités, et les vins doux naturels, qui émergent progressivement, commencent à attirer l’attention.

C’est également à cette période que les vignerons du Roussillon se spécialisent davantage dans des vins de qualité. Arnaud de Villeneuve, alchimiste et médecin installé à Montpellier, perfectionne l’art du mutage au XIIIe siècle, mais c’est au XVIIe siècle que cette technique connaît une popularité croissante dans le Roussillon. Elle permet la création des grands vins doux naturels (comme le banyuls ou le maury), véritables joyaux de la région encore aujourd’hui.

La crise du phylloxéra et la révolution viticole

Comme dans le reste de la France, le Roussillon est durement touché par le phylloxéra à la fin du XIXe siècle. Cet insecte, arrivé depuis l’Amérique du Nord, ravage la quasi-totalité des vignes entre 1868 et 1872. Les pertes sont astronomiques : des milliers d’hectares sont anéantis, bouleversant l’économie locale.

Pour sauver le vignoble, les vignerons adoptent une solution radicale : l’utilisation de porte-greffes américains résistants. Cette période difficile est aussi marquée par une réflexion sur les cépages à conserver. Le grenache, le carignan ou encore le macabeu s’imposent comme les piliers du vignoble. Parallèlement, le collectif se renforce : les premières coopératives viticoles apparaissent, comme celle de Banyuls en 1901, prémices d’une organisation solidaire pour se relever des crises à venir.

Les AOP et la reconnaissance du terroir : un héritage contemporain

Le XXe siècle voit la naissance des appellations d’origine contrôlée (AOC). Dans le Roussillon, cette reconnaissance est parfois tardive mais décisive pour affirmer l’identité des vins locaux. Les premières AOC – banyuls dès 1936, maury ou côtes du roussillon – établissent un cadre de production garantissant qualité et authenticité.

Ces distinctions ne viennent pas sans défis. Les années 1960-1970 sont marquées par une surproduction de vin peu valorisé dans un contexte où la consommation nationale diminue. Pour contrer la crise, les vignerons innovent, certaines familles abandonnant même la monoculture pour se diversifier avec l’olivier ou l’amandier. Finalement, une nouvelle génération de vignerons émerge, portée par le souffle du bio, mettant un soin particulier à incarner l’authenticité du terroir.

Au détour des vignes : traces vivantes de l’histoire

Marcher aujourd’hui dans le vignoble du Roussillon, c’est lire entre ses rangs l’histoire qui s’y raconte. Les murets en pierre sèche bâtis par les moines, les cépages rustiques qui ont survécu au phylloxéra, ou encore les caves sculptées dans les montagnes de Maury, témoignent d’une résilience mêlée à une créativité séculaire.

Et si vous dégustez une bouteille de rancio ou de muscat de Rivesaltes, écoutez bien : ce sont ces siècles d’histoire qui vibrent dans vos verres. Une mémoire millénaire que chaque vigneron du Roussillon transmet avec passion et exigence.

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