Un cahier des charges précis : entre tradition et modernité

L’aire de l’AOP Côtes du Roussillon balaie près de 118 communes du département des Pyrénées-Orientales, depuis les contreforts des Corbières jusqu’aux abords de la Méditerranée (source INAO). Dès l’origine de l’appellation, le syndicat des producteurs a voulu s’appuyer sur les cépages historiques du Sud, en autorisant uniquement certaines variétés pour chaque couleur de vin (rouge, rosé et blanc). Entre place dominante des cépages méditerranéens et timides incursions de variétés d’influence catalane, la palette reste certes délimitée, mais d’une complexité fascinante.

Les cépages principaux pour les vins rouges et rosés

Le climat du Roussillon — chaud, sec, secoué par la Tramontane, adouci au gré des vallées — fait la part belle aux cépages méditerranéens, capables de résister à la soif et de donner des vins structurés, colorés, vivants.

  • Grenache noir : Le pilier. Intensité en fruits noirs mûrs et notes épicées, tanins veloutés, apte au vieillissement, le Grenache noir couvre environ 40 à 50% de l’encépagement des rouges de l’appellation (CIVR). Il exprime la chaleur du Roussillon sans la lourdeur, et embrasse chaque génération de vignerons.
  • Syrah : Introduite de manière plus large après les années 1980, la Syrah apporte structure, couleur intense et épices (poivre noir, violette). Elle représente aujourd’hui environ 20% de l’encépagement, apportant de la dimension aux assemblages, parfois également en rosé.
  • Carignan noir : Cépage du "pauvre" et du "sage", longtemps décrié puis réhabilité par les vignerons du cru. Il offre structure, fraîcheur et notes de garrigue, surtout lorsque les vieilles vignes sont travaillées délicatement. Son acidité, bien maîtrisée, équilibre magnifiquement la chaleur du Grenache.
  • Mourvèdre : Cépage capricieux, difficile à amadouer loin de la mer, mais source de complexité, d’élégance et de notes de fruits noirs, cuir, cuirasses florales. Se cultive sur les terroirs chauds et secs, souvent en assemblage.
  • Lladoner pelut : Un cousin du Grenache noir, plus duveteux (son nom signifie "velu" en catalan). Cette rareté locale récemment remise à l’honneur, amène finesse, fraîcheur, touche épicée. Il gagne du terrain dans les villages engagés pour la diversité ampélographique.

À ces cépages "principaux", le cahier des charges de l’AOP autorise quelques cépages secondaires — dans certaines limites parfois restrictives — pour compléter l’assemblage :

  • Cinsault : Utilisé principalement dans les rosés pour sa fraîcheur, ses arômes de fraise et sa faible teneur en alcool.
  • Macabeu (ou Macabeo) : Traditionnellement blanc, mais exceptionnellement vinifié en rosé dans l’AOP (rare).

Note importante : pour l’élaboration d’un Côtes du Roussillon rouge, aucune des variétés principales ne doit dépasser 60% de l’assemblage final, ce qui encourage la complexité, la complémentarité et les signatures singulières de chaque domaine (source INAO).

Les cépages autorisés pour les vins blancs

Les Côtes du Roussillon blancs forment aujourd’hui 10 à 15% de la production de l’Appellation, mais connaissent un renouveau marqué chez les jeunes vignerons et une reconnaissance sur les grandes tables. Le cahier des charges, là encore, privilégie l’assemblage plutôt que la monocépage.

  • Grenache blanc : Variété la plus plantée pour cette couleur, offrant ampleur, notes d’anis, de pomme fraîche et discrète amertume salivante.
  • Grenache gris : Ces baies à la peau rosée sont très répandues dans le Roussillon, donnant de la matière, des arômes subtils de poire et une signature minérale sur les schistes.
  • Macabeu : Importé de Catalogne, il s’adapte parfaitement aux terroirs les plus ventés de la plaine du Roussillon. Il amène finesse, tension et subtiles touches florales (aubépine, pêche de vigne).
  • Malvoisie du Roussillon (Tourbat) : Rare et précieuse, réintroduite par quelques passionnés depuis une vingtaine d’années, la Malvoisie offre des notes complexes de fruits jaunes et d’amandes grillées.
  • Roussanne & Marsanne : Cépages rhodaniens autorisés depuis les années 1990, confèrent élégance, arômes de fleurs blanches, structure acidulée. Leurs surfaces restent modestes, mais elles offrent de belles perspectives pour les assemblages aromatiques.
  • Vermentino : Encore minoritaire, mais sur une belle dynamique, notamment dans les terroirs argilo-calcaires, pour ses arômes de citron vert et sa vivacité salée.

Précision essentielle : pour les blancs, il est obligatoire de réaliser un assemblage de deux cépages au minimum, et, selon les zones, la part de Grenache gris et/ou blanc doit dominer (source INAO). Beaucoup de vignerons ajoutent parfois une petite proportion de Muscat (Muscat d’Alexandrie ou Muscat à petits grains) en complément, même si ce dernier est traditionnellement réservé aux Vins Doux Naturels en Roussillon.

Cépages et terroirs : une alliance délicate

La richesse ampélographique du Roussillon n’a de sens que si elle épouse son immense mosaïque de terroirs. Entre galets roulés du piémont nord, schistes bruns de la vallée de l’Agly, argiles rouges des Aspres, chaque cépage s’exprime différemment.

  • Le Grenache noir révèle puissance, gourmandise solaire et notes suaves sur les sols de galets, tandis que la Syrah s’exprime au mieux sur les schistes, plus frais, donnant des vins structurés, profonds.
  • Le Carignan, souvent planté en haute densité sur argiles, sublime sa fraîcheur et ses notes de zan quand la vigne est conduite en gobelet et récoltée à juste maturité.
  • Le Macabeu magnifie la tension sur les terroirs les plus exposés au vent, tandis que le Grenache gris, plus sucré, recherche l’altitude pour exprimer minéralité et finesse.

La tradition de l’assemblage, quasi sacrée dans la région, permet aux vignerons d’équilibrer climat extrême, sécheresse et maturité poussée, mais aussi de jongler avec la mosaïque de sols pour composer des vins chaque fois différents et fidèles à leur “climat”.

Compléments et anecdotes historiques

Certains cépages aujourd’hui secondaires ou rares ont pourtant fait la gloire des Côtes du Roussillon (ou du Roussillon tout court) au fil des siècles :

  • Le Carignan noir a failli disparaître des assemblages officiels dans les années 1990 tant il était associé à la surproduction.
  • La Malvoisie était quasiment introuvable après la deuxième guerre mondiale, avant d’être replantée avec minutie grâce à l’engagement de familles de vignerons du Fenouillèdes.
  • Le Lladoner pelut n’était connu pratiquement que dans certaines parcelles en Catalogne Nord avant que quelques pionniers (Parcé, Danjou-Banessy...) ne le réintroduisent dans le paysage viticole français.

Autre fait marquant : l’AOP Côtes du Roussillon comporte, dans son périmètre, des “dénomination géographiques complémentaires” (Les Aspres, les Côtes du Roussillon Villages, etc.) où les règles d’assemblage se resserrent parfois, interdisant certaines variétés ou imposant une proportion minimale de Grenache noir, Carignan, Syrah ou Mourvèdre — touchant à la fois la structure finale du vin et à son identité culturelle.

Chiffres et tendances

  • La superficie de l’AOP Côtes du Roussillon représente environ 5 000 hectares exploités, selon le dernier recensement CIVR 2023.
  • La part de Grenache (noir et blanc confondus) approche la moitié de la production totale des vins secs sous cette AOP.
  • Environ 400 caves particulières et 25 caves coopératives se partagent la production, forte de plus de 100 000 hl annuellement, principalement en rouge.
  • De plus en plus de jeunes domaines, convertis en bio ou biodynamie (près de 30% selon CIVR), replantent des variétés anciennes, comme le Lladoner pelut, la Malvoisie ou même certains clones oubliés de Carignan pour diversifier la palette aromatique et adapter la vigne au changement climatique.

Le futur des cépages en Roussillon

Alors que le vignoble catalan entre dans une phase de mutation accélérée — réchauffement climatique, recherche de résistance à la sécheresse, nouvelles sensibilités des consommateurs —, la question de l’encépagement revient avec insistance. L’INAO et les syndicats de producteurs suivent de près l’évolution des essais avec des cépages plus résistants (Caladoc, Marselan…), ou le retour d’anciennes variétés pour affiner l’identité des vins et préserver la biodiversité ampélographique.

Mais ce sont bien les cépages cités — Grenache, Syrah, Carignan, Macabeu, Malvoisie, etc. —, judicieusement assemblés selon le lieu, la main et l’époque, qui continuent à raconter ce territoire indocile, toujours en quête d’équilibre et d’authenticité.

Leur nom, leur goût, leur alliance sont une invitation à marcher dans les vignes du Roussillon, bousculant les idées reçues et ouvrant l’appétit pour toute la richesse vivante des vins du Sud.

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