Situé dans le sillage du Roussillon historique, le Fenouillèdes s’étend entre l’Agly au sud et la chaîne des Corbières au nord. Ici, ce n’est ni tout à fait le Roussillon méditerranéen, ni l’Aude languedocienne : le Fenouillèdes dessine une sorte de “corridor”, transfrontalier et culturel, où les influences se mêlent. Cette transition géographique se retrouve dans ses paysages de garrigues, ses collines argileuses et la remarquable diversité de ses sols.
C’est une zone de frontière, jadis territoire du mythique Catharisme, mais aussi région de passage commercial et culturel. Cette histoire sédimente une mosaïque de terroirs, qui restent aujourd’hui l’un des secrets les mieux gardés du Roussillon.
Le point fort du Fenouillèdes ? Sa diversité géologique sur quelques dizaines de kilomètres seulement. Ce sont les sols qui, ici, décident non seulement du style des vins, mais aussi des choix de cépages, des itinéraires de culture et de la temporalité des récoltes.
Sur ces sols sombres, la vigne plonge ses racines à la recherche d’eau dans les failles. Les schistes créent des retenues thermiques, favorisant la maturation du Grenache noir. Les vins qui en résultent sont concentrés, avec des tanins soyeux, une salinité presque électrique en bouche. C’est l’ADN du célèbre Maury (AOP Maury Sec et Maury doux).
La vigne, ici, s’enracine difficilement. Mais la lutte nourrit la complexité : le Syrah donne des vins ciselés, poivrés, au grain tannique marqué. Les blancs (Macabeu, Grenache blanc) révèlent des notes d’agrumes, de fenouil, de pierre frottée. Les précipitations plus fréquentes (400 à 550 mm/an selon le millésime – Source : Météo France) offrent au sol une respiration essentielle.
Souvent comparés aux galets du Rhône méridional, ces sols absorbent la chaleur et la restituent la nuit, donnant aux Grenaches et aux Carignans une maturité généreuse. Les blancs y sont rares, mais étonnants, avec une ampleur florale qui contraste avec la fraîcheur minérale des calcaires.
Peu courants, ces sols produisent des rouges frais, souples, presque floraux, où le Lledoner pelut (“Grenache poilu”) ou la Syrah peuvent exprimer une palette aromatique déliée et originale.
Ce triptyque climatique donne naissance à une alternance de styles, entre concentration solaire à basse altitude et tension, finesse, à mesure que l’on grimpe. L’amplitude thermique (jusqu’à 18°C de différence entre le jour et la nuit en été – Source : IFV Sud-Ouest, 2022) favorise la synthèse des polyphénols et le maintien d’une trame acide.
Le choix des cépages, loin d’être anodin, traduit une cohérence avec les terroirs : le Grenache noir règne sur les schistes et galets, le Carignan sur les zones profondes et caillouteuses, le Syrah conquiert les argiles frais, tandis que, sur les replats calcaires, Macabeu et Grenache blanc brillent.
Les vignerons du Fenouillèdes, souvent de petites unités familiales, tranchent avec les grandes propriétés de la plaine du Roussillon. Ici, les exploitations viticoles dépassent rarement 15 hectares. Ce morcellement favorise une approche parcellaire, voire "jardinière", où chaque micro-terroir révèle sa personnalité (voir Le Monde, dossier sur "Les nouvelles dynamiques du Roussillon", juin 2023).
Des terroirs variés naît une production foisonnante, qui s’exprime aussi bien dans les rouges profonds que dans les vins doux naturels, et de plus en plus dans des blancs de caractère. Quelques styles marquants :
À table, ces vins trouvent leur équilibre aussi bien sur des plats catalans de caractère (agneau des Fenouillèdes, boudin noir du Pays, fromages de chèvre frais) que sur une cuisine moderne, où leur fraîcheur insoupçonnée crée des harmonies inédites.
Le Fenouillèdes, comme l’ensemble du Roussillon, vit une adaptation permanente à la sécheresse. Depuis vingt ans, la baisse annuelle de précipitations y est estimée à -10% en moyenne (source : Chambre d’Agriculture 66). Les vignerons sélectionnent désormais des clones plus résistants, investissent dans la couverture végétale, et cherchent à remonter en altitude.
L’un des défis à venir : garantir la signature des terroirs face aux aléas climatiques. Comment conserver la fraîcheur des vins blancs calcaire, l’intensité tannique des rouges de schiste, sous pressions hydriques et solaires accrues ? C’est ce dialogue permanent, entre patrimoine et innovation, qui fait du Fenouillèdes un observatoire vivant, passionnant du vignoble méditerranéen.
Au fil des années, le Fenouillèdes s’affirme comme un territoire d’expériences, à la croisée des traditions et d’un esprit d’avant-garde. Sa topographie morcelée, son patchwork de sols, l’énergie de ses vignerons : tout invite à découvrir des vins qui portent la trace d’un terroir en perpétuelle invention, mais résolument fidèle à son identité. À ceux qui parcourent ces collines, une certitude s’impose, millésime après millésime : le Fenouillèdes n’est pas le double discret du Roussillon, c’en est la version la plus vibrante, la plus singulière.